les mots sillons

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Il y a Tout-le-monde et Nous / 01.04.2012

Il y a, dans ma ville, une route. Une grande route large et bien lisse, à double voies et double sens. Tout-le-monde est d'accord pour dire que c'est bien. Car Tout-le-monde peut y rouler rapidement sans être gêné.

 

Il y a, au bout de cette route, un feu stop. Tout-le-monde s'y arrête et attend, impatient de repartir. Dans sa voiture Tout-le-monde est seul. Bien que sa bulle d'acier soit pourvue de vitrage, il ne regarde pas à l'extérieur. Tout-le-monde est bien trop occupé à porter une cigarette à ses lèvres les yeux rivés sur la lumière rouge. Il est absorber à écrire un message texto le pied prêt à s'écraser sur la pédale d'accélérateur ou s'applique à se remettre une mèche de cheveux la main tendue sur le levier de vitesse. Car Tout-le-monde est capable de faire plusieurs choses à la fois, rapidement et dans un espace restreint. Il est né comme ça. Capable d'apprendre vite, de penser vite, de parler vite, d'écrire vite, de courir sans tomber, de gesticuler sans rien casser. Tout-le-monde se contient en public, pleure en silence et rit sobrement.

Tout-le-monde n'utilise pas les sentiers, mais la grande route large et bien lisse, à double voie et à double sens. Et Tout-le-monde est d'accord pour dire que c'est bien comme ça.

 

Il y a, le long de cette bande de macadam, un terre plein bordé d'un petit chemin de cailloux blancs. Plus étroit, on y marche à une allure bien plus modérée. Mais quand Tout-le-monde est arrêté, pour une fois, Nous on peut les doubler et ça nous faire rigoler.

Nous, on n'est pas comme Tout-le-monde.

Nous, on va à pieds ou en bus mais Nous, on est toujours ensemble. On parle sans contrainte, on bégaye, on trébuche, on va cahin-caha faisant balancer nos sacs au rythme de notre démarche cadencée. On se donne le droit de pleurer à chaudes larmes et de rire à gorge déployée.

Éléonore s'arrête et s’accroupit. Le bout de sa langue plaquée sur sa lèvre supérieure marque la concentration. Elle refait son lacet comme sa grande sœur lui a appris, avant de courir sans pudeur vers le groupe qui l'accueille l'acclamant d'une tendre ironie. David, le plus grand d'entre Nous et le plus dégingandé de tous, tient dans sa grande main la petite paume de Sophie, son amoureuse. Elle est fière, Sophie, d'être aimée par cet homme, différent comme nous, elle le sait, elle s'en fou, elle est heureuse.

Moi, je suis juste derrière. J'ai le nez sur mes baskets à scratch. Qu'elles sont belles ces baskets ! Et les scratchs, t'as vu ça comme c'est bien. Maman m'a dit que je pourrai mettre mes chaussures toute seule le matin. Elle a fait attention pour que mes baskets n'aient pas de trous. J'aime pas les trous. Mais elles ont une super bordure rose et mauve. C'est chouette, non ! Et derrière moi (il est toujours le dernier) il y a Anthony qui remonte ses lunettes toutes les secondes en plissant son tout petit nez. Il a tout le temps le regard planté dans le ciel. C'est l'infini... Si ! C'est son grand père qui lui a dit. 

 

Et puis, il y a tous les autres qui avancent la démarche boiteuse mais déterminée, le geste gauche mais tendre, le regard timide mais sincère, chaque matin et chaque soir sur le petit chemin de cailloux blancs parallèle au boulevard Théodore Vernier à Lons Le Saunier. 

 



01/04/2012
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